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Du nouveau pour 2009 : Lire-écouter-voir devient Samarra !

Après un an de bons et loyaux services, Lire-écouter-voir fait peau neuve. Nous allons désormais continuer ce qui a été entrepris sur un blog partenaire du site Mondomix consacré à toutes les musiques du monde.

Ce nouveau blog s'appelle Samarra et a démarré depuis quelques jours. Nous allons continuer à y publier des articles sur les sujets et les supports (BD, manga, musique, films, livres, peinture,...) qui ont fait le quotidien de Lire-écouter-voir en 2008.

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mardi 22 juillet 2008

La lutte en chantant: le Cône sud (1ère partie).

Caricature de Plantu sur les victimes de la dictature chilienne (le Chili est un des trois pays du cône sud avec l'Argentine et l'Uruguay).


* Une chanson engagée.


Véronique Mortaigne écrivait dans un article du Monde du 12 septembre 2003: "L'Amérique latine porte en musique une parole militante comme rarement un autre continent. (...) Des rives de la Floride à la pointe d'Ushuaïa, il existe une histoire musicale commune fondée (...) sur la contestation en règle des carcans imposés au petit peuple par les puissants, les gouvernants et leurs suppôts".



Cette situation vaut particulièrement pour le cône sud, soit l'Argentine, l'Uruguay et le Chili, trois pays confrontés à des régimes dictatoriaux durs au cours des années 1960, 1970, dans lesquels les organisations de gauche furent traquées impitoyablement (dans le cadre du plan condor par exemple).

Au cours de ces années de plomb, les artistes de la nueva Cancion ,souvent membres ou proches du parti communiste ces chanteurs et chanteuses se retrouvent autour de quelques valeurs communes:

- ils dénoncent ainsi la main mise des Etats-Unis sur l'Amérique latine, à l'instar du titre "Basta Ya" de l'Argentin Yupanqui.
"Le Yankee vit dans un palace, / Je vis dans une baraque!
Comment est-il possible que / Le Yankee vive mieux que moi?
Assez! Assez!Assez que le Yankee commande!"






En effet, depuis le XIX ème siècle, l'Amérique latine (A.L.) se trouve sous la tutelle des EU [la doctrine Monroe élaborée dès 1823 fait de l’A.L. la chasse gardée des EU]. La guerre froide accentue encore le phénomène. Les EU soutiennent les régimes dictatoriaux qui font barrage au communisme et garantissent les nombreux intérêts économiques américains en A.L. (grandes firmes agroalimentaires : United fruit).

Les EU,qui considèrent l'Amérique comme leur chasse gardée depuis le XIXème siècle (doctrine Monroe), font tout pour empêcher la diffusion du communisme sur le continent. Si malgré tout, le communisme s'impose, il ne peut le faire que par la force pour Kissinger. Instaurer le socialisme par les urnes, comme le tente Allende, constitue un très mauvais exemple pour l'Europe selon Kissinger. Ce dernier affirme: "L'élection d'Allende est grave pour les intérêts américains au Chili et pour le gouvernement américain. Allende est probablement un communiste, un communiste de Moscou." Il convient donc de réagir. L'existence du plus grand parti communiste des Amériques au Chili inquiète particulièrement le département d'Etat américain.



Caricature sur la doctrine Monroe qui fait de l'Amérique latine la chasse gardée des Etats-Unis.

La CIA appuie donc les tentatives de putschs, qui échouent, mais préparent le terrain pour le 11 septembre 1973. On peut considérer en effet, que l'ingérence nord-américaine au Chili a permis l'instauration d'une des dictatures les plus dures du continent, celle de Pinochet.

* Les artistes de la Nueva Cancion dénoncent ainsi la répression policière impitoyable des régimes autoritaires qui s'imposent dans le zone.

C'est le cas au Chili où la junte militaire qui s'impose le 11 septembre 1973 au Chili renverse le gouvernement d'unité populaire de Salvador Allende, qui se tue dans le palais présidentiel de la Moneda. Le putsch porte au pouvoir Pinochet, qui met tout en oeuvre pour extirper le marxisme du Chili. La junte militaire procède à une répression sanglante (au moins 3000 morts, des milliers d'internements sans jugement). Le Parlement est dissous, les partis politiques supprimés. Pinochet prend le titre de “chef suprême de la nation”, en 1974.

Les victimes de ces régimes autoritaires sont les opposants de gauche, les communistes en particulier, mais aussi les populations indiennes.

Le recours aux enlèvements, à la torture y est systématique. Victor Jara revient sur cette pratique dans son émouvant Te recuerdo Amanda: "sonne la sirène de l'usine pour le retour au travail. / Beaucoup ne reviennent pas / Manuel non plus / Je me souviens Amanda."

Avec sa chanson "Preguntas por Puerto Montt", Jara s'en prend ouvertement au ministre de l'intérieur Pérez Zujovic, responsable du massacre de Puerto Montt, le 9 mars 1969. 250 policiers font irruption dans un camp de fortune habité par 90 familles qui occupent illégalement des terres laissées à l'abandon par un grand propriétaire terrien de la région. "Il est mort sans savoir pourquoi (...) / Vous devez répondre / Senor Perez Zujovic". Cette dénonciation lui vaudra d'être inquiété à de multiples reprises et, surtout, quatre ans plus tard, les putschistes élimineront cette grande voix insoumise.



La dictature militaire qui sévit en Argentine de 1976 à 1983, serait ainsi responsable de la mort de 30 000 personnes. Les opposants politiques (syndicalistes, communistes...) et leurs enfants sont traqués, éliminés. Le régime a recours aux enlèvements. Les Mères de la place de Mai manifestent régulièrement pour exiger du pouvoir en place de rendre des comptes concernant les milliers de personnes disparues sous la dictature. Rublen Blades évoque ces enlèvement dans son "Desapariciones".

* Le courant des "folkloristes" sud-américains, voyageurs infatigables, exaltent l'identité et les cultures des populations amérindiennes, , éternelles laissées pour compte depuis la conquête espagnole. Par exemple au Chili, les décrets-lois 2568 et 2750 adoptés en 1979-1980 fragilisent un peu plus encore les populations autochtones.premières victimes des régimes autoritaires.
Yupanqui adapte ainsi Duerme Negrito, un thème traditionnel. Il doit d'ailleurs son nom, Altahualpa, au dernier chef inca assassiné les conquistadores de Pizarre. Quant au nom Yupanqui, le Grand Méritant, il était porté par le cacique suprême des indiens Quechuas.

Yupanqui, Violeta Parra, Victor Jara étudient les musiques populaires et font revivre le patrimoine des populations indiennes. Jara part ainsi à la rencontre des indiens Mapuches. Sa mère, indienne mapuche elle même, l'initie à la guitare et lui fait découvrir les instruments traditionnels quenas, zamponas, charango. Tous les chanteurs engagés valorisent ainsi ces instruments pour faire entendre la singularité de leur musique dans un monde dominé par la culture nord américaine (exemple avec l'introduction du titre qui suit de Violeta Parra)


Découvrez !


* Autre thème chers aux artistes de la Nueva Cancion et liés aux précédents: l'aspiration à une vraie justice sociale dans un continent qui se distingue au contraire par des écarts de richesse extraordinaires.

Por Todo Chile [Daniel Viglietti] - Varios

Les artistes décrivent les dures conditions d'existence des petits cultivateurs indiens ou noirs exploités par les propriétaires blancs dans toute l'Amérique latine.
Pendant des décennies, de très grands propriétaires terriens monopolisaient les terres, à la tête d'immenses exploitations, les latifundia, tandis qu'une masse de paysans devaient se contenter de micro-exploitation, les minifundia. Cette situation trouve son origine dans la captation des terres par les colons espagnols et portugais lors de la conquête.

* D'une manière générale, ces chanteurs s'intéressent au dur labeur des paysans, des mineurs, des ouvriers ("Plegaria a un labrador" de Victor Jara; "Campesino" de Yupanqui). " Quand tu t'en iras aux champs / ne t'écarte pas du chemin / ne marche pas sur le sommeil /
des ancêtres endormis / Paysan, paysan, je chante pour toi, paysan!
"
Ils chantent l'amour du petit peuple souffrant et qui gagne chichement sa vie au prix d'efforts terribles ("Por todo Chile"), exploités par les puissants. A l'opposé, Jara compose une chanson ironique et mordante, "les petites maisons du quartier haut" ("Las Casitas del barrio alto"), dans laquelle il décrit l'existence dorée des enfants des fils et filles de bonnes familles.






* Les injustices sociales, les discriminations raciales, les violences perpétrées par des régimes dictatoriaux et la domination américaine sur le continent incitent assez logiquement les artistes à se rebeller et incitent à la révolution.
Victor Jara rend hommage à plusieurs reprises aux icônes révolutionnaires du continent, à commencer par Che Guevara ("Zamba del Che" ). Le groupe Quilapayun, dont Jara fait partie jusqu'à sa disparition, compte dans son répertoire de nombreux chants révolutionnaires qui seront aussi des hymnes de l'Unité Populaire d'Allende derrière lequel le groupe s'engage:
- "El pueblo unido...": "Et maintenant le peuple qui se dresse dans la lutte / Avec une voix de titan s’écrit : en avant / Le peuple uni jamais ne sera vaincu
- "Venceremos":"Nous vaincrons, nous vaincrons / nous saurons vaincre le fascisme.").

Yupanqui, quant à lui, dédie son "Nadas mas" au Che: "Des gens meurent pour renaître / Et celui qui en doute / Qu’il le demande au Che / Rien de plus… Rien de plus…."



Sources:
- Victor Jara:"Non à la dictature", Actes sud junior, 2008.
- Véronique Mortaigne "la lutte en chantant", le Monde du 12 septembre 2003.

A suivre...
- Retrouvez la deuxième et la troisième partie de cette série.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

A lire sur le plan Condor.

John DINGES, Les années Condor, Comment Pinochet et ses alliés ont propagé le terrorisme sur trois continents, Paris, La Découverte/Poche, 2008.

blottière a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
blottière a dit…

Merci pour le lien. Je renvoie à ta synthèse du bouquin de Dinges: pour cela, cliquez sur AKA 75 dans la commentaire précédent.

J.B.